Une alliée à ma table.

Langue de lutte
4 min readApr 26, 2021

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C’est 19H50 quand Tiphaine frappe trois coups à la porte.

Elle m’a prévenue par message qu’elle arrivée. Je suis sortie de ma chambre et descendue lui ouvrir.

Dans la salle à manger ouverte sur le salon ils sont tous à table. Ce qui me surprend.

Dès qu’ils me voient :

_ Enfin tu daignes nous gratifier de ta présence.

_ Elle est où Tiphaine ?

_ Encore en retard.

_ Tu lui as dit qu’elle heure ?

_ Tu restes habillée comme ça ?

Je choisis de répondre à la certitude du retard.

_ Non elle n’est pas en retard. D’habitude, vous mangez à 21H. Alors quand elle m’a demandé à partir de quelle heure elle pouvait venir, je lui ai dit 20H. Il n’est pas encore 20H elle n’est pas encore en retard. Elle est là, je vais lui ouvrir.

Ils me font savoir qu’ils attendent assis ici depuis 19H, les couverts entre les dents, ça c’est moi qui le rajoute dans mon image mentale. C’est con, je n’ai pas encore assez développé mes pouvoirs de sale sorcière pour voir à travers les murs.

_ Ah Tiphaine !

_ Enfin !

_ On commençait à s’inquiéter.

_ Oui on se disait mais qu’est-ce qui a bien pu lui arriver peuchère ?!

_ On attendait depuis.

_ Depuis 19H.

_ Clara m’a invité à partir de 20H alors je ne me suis pas pressée. Vous faites la bise ou le scheik ?

Adrien le mari de ma sœur se lève.

_ Je vais commencer à servir maintenant que nous sommes au complet.

Ma mère

_ Adrien, mais non ne t’embête pas, reste assis.

_ J’insiste Corinne.

_ Les filles vous ne voulez pas l’aider ? Adrien je vais le faire si non.

_ Ça me fait plaisir Corinne, ça ne me dérange pas du tout.

_ Mais…

_ J’insiste.

Tiphaine prend la main de ma mère dans la sienne

_ Il va s’en sortir Corinne, c’est promis.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas eu une alliée à ma table. Raison confinement.

Je ne me souvenais plus à quel point cela fait du bien, de ne plus se sentir constamment contre, en dehors, différente, sans place, décevante, incomprise, et tout, et tout le reste.

Mon oncle ouvre la porte d’entrée à la volée et hurle (ça manière à lui de parler) :

_ Ah ça tombe bien vous mangez !

Ma mère

_ Je te mets une assiette Marcel.

_ Merci Corinne. Alors la famille, comment va ? Qu’est-ce qu’on mange ? Rose bœuf. Vous mangez pas Clara et Tiffany ? /

_ Tiphaine. /

_ Ah non, c’est vrai ! Vous vous mangez que de l’herbe. Pardon, pardon, c’est vrai. Chloé tu as bonne mine, Adrien t’arrose drôlement bien en ce moment !

Ma sœur Chloé m’avait confié que notre oncle lui disait ça souvent. Elle trouvait ça malaisant.

_ Ça veut dire quoi arroser Marcel ?

Mon père

_ Clara.

Mon frère

_ Sois pas lourde.

Mon oncle ne fait pas le moindre effort pour contenir son sourire et ces yeux de malice.

Tiphaine

_ Moi aussi je n’ai compris la phrase non plus. J’ai l’image d’Adrien avec un petit arrosoir vert qui arrose Chloé, Mais…

Mon oncle

_ Ça veut dire qu’il prend bien soin d’elle.

Tiphaine

_ Ah tu dis ça par ce qu’il est en train de nous servir ? Alors Corinne aussi elle arrose bien Chloé et tout le monde en fait en règle générale.

Mon père

_ Non Tiphaine, il y a une différence, quand même, bien significative, une différence dans le choix du terme utilisé par Marcel, dans le rapport au rapport que met Corinne dans le soin…

Je le coupe

_ Qu’est-ce que c’est qui est significativement différent papa ?

_ Eh bien c’est évident — mon frère acquiesce en silence — oui voilà, bien sûr. C’est évident.

Tiphaine

_ Je vais me risquer à une explication. C’est la mienne, en fait après l’image de l’arrosoir vert quand je pousse un peu je trouve qu’un arrosoir ça a quelque chose de très phallique. Et les gouttes d’eau et le sperme, c’est une métaphore pas mal utilisé dans les émojis donc…

Mon oncle en servant le vin

_ EH beh, c’est ça tu as trouvé. C’est bien bon esprit de déduction. Bien qu’il faille admettre que tu as un peu l’esprit mal placé pour en arriver à cette image. Je te ressers du vin Tiéphaine ?

Tiphaine

_ Oui merci.

Marcel

_ Tu en as de la chance d’être assis à côté d’un homme comme moi.

_ Et toi donc ! Je suis assise, pas assis.

Un silence ma mère se lève pour remplir le pichet de vin.

_Bon puisque ce soir nous parlons si aisément de l’hypothétique activité sexuelle de Chloé et Adrien et de ses bien fait d’ailleurs merci Adrien de la rendre si resplendissante.

_ Oh Clara !

Ça doit être une réplique de mon frère ça ou de ma mère.

_ Eh bien moi je me suis offerte le premier vibro de ma vie. Il s’appelle Soraya et il est merveilleux ! Vous voulez que je vous…

_ Clara arrête, c’est ban on a compris !

Tiphaine

_ Oh moi j’ai le tout dernier le Sila ! Et d’ailleurs c’est que je faisais à 19H quand vous m’attendiez !

Jeanne Anna Simone

Atelier d’écriture féministe #LanguedeLutte #Famille

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Written by Langue de lutte

Les textes de ce blog ont été créés lors d’ateliers d’écriture, en non mixité queer et féministe. Plus d’informations sur : www.facebook.com/languedelutte

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