Tatouage poétique
texte de Ninon
Les ponts ont explosé une nuit de juin, la nuit de l’an 17, sous des étoiles de jeunesse. L’ingénieur qui est venu constater la catastrophe a écrit que c’était « à cause de l’amour ». L’amour, ses pouvoirs sont bien connus, mais pas sa fureur à exploser le béton, l’acier, le bois des ponts familiaux en raison des désirs dissidents.
Ainsi ce corps libéré s’est-il mis à exister dans le monde.
J’ai accepté ce territoire isolé, cette petite île, mon corps mien, et son coeur battant pour les femmes. Je vais le cartographier pour toi ce corps. Voici :
- Mes yeux trempés de mousson.
- Mon ventre de rizière
- Ma peau dorée.
- Les petites amandes de mon regard
Un demi de ce pays vit en moi, tu peux le goûter à petites lampées, si tu viens m’embrasser. N’aie crainte, mon histoire à décanté. Mon corps a absorbé l’exil, la solitude, la survie. Il a concocté une belle part des anges avec le fond qu’il lui restait dans son tonneau. Plein d’histoires, le plus beau d’un héritage cicatrisé à faire rouler sous la langue ; des bananeraies, des tigres, des poignards japonais, des épaules américaines, des amants embarqués, des impératrices amoureuses à peaux dorées elles aussi. Ma carcasse de vingt-huit ans d’âge s’est parcheminée de merveilles.
Reste sa cicatrice d’amour. N’y arrête pas trop tes yeux. Elle n’est pas si différente de celle de tes chagrins. Elle ne tarit pas la source de ma foudre de vivre. Figure toi que j’ai enfin trouvé la tatoueuse qui en fait quelque chose, de la cicatrice. Elle y encre de la poésie.
Elle n’a pas encore posé son néon dans Paris. Car l’écriture vient seulement de lui revenir. Si tu la cherches, cette tatoueuse, c’est moi.
Ninon