Sororcité

Langue de lutte
2 min readMar 31, 2021

Ça sent le pain, le pain chaud. Le trafic ici c’est toujours le bordel, j’entends les moteurs et les klaxons, le bus qui arrive et qui s’arrête, les portes qui s’ouvrent. Je pourrais le prendre et rentrer chez moi plus vite, mais il fait beau, sec et froid : j’ai envie de marcher. Ça doit être l’heure de la sortie de l’école, il y a des daronnes qui parlent arabe entre elles, des poussettes et des gamins qui crient. Un mec passe à côté de moi, un sac plastique à la main d’où s’échappe une odeur de kebab. Ça me donne faim. Une grand-mère passe avec un petit chien moche au bout d’une laisse.

Ce n’est qu’une fois parvenu devant le café qui fait l’angle que j’identifie ce qui me dérange : les rires, masculins et graveleux, qui se déclenchent sur mon passage. La moyenne d’âge des hommes qui me fixent dépasse et de loin les cinquante ans. L’un d’entre eux, plus hardi que les autres, se lève et vient me barrer le passage.

-”Salut, tu vas où comme ça ?”

Il sent l’alcool et le mauvais tabac. Je tente de le contourner mais il se décale en même temps que moi.

-”Hey, qu’est ce qui t’arrive, t’es pressée ?”

-”Oui je suis pressée.”

-”Tu t’appelles comment ?”

Ça me saoule. Mon cœur se met à battre à la fois de peur et de colère. Il est bourré et ses potes nous regardent en sifflant. Je ne peux pas juste lui dire d’aller se faire foutre : celui-là ne reculera devant rien pour conserver sa fierté. C’est là qu’elle est arrivée : une dame, plus petite que moi, flanquée de deux marmots et d’un troisième dans une poussette, foulard sur la tête, de celles qui se massaient devant la sortie de l’école quand j’étais enfant.

-”Qu’est ce que tu fais, là”, lance-t-elle comme si elle engueulait son fils, “la demoiselle elle t’a dit qu’elle était pressée !”

Le mec se démonte pas.

-”Rien, on parle, c’est tout.”

-”Mais elle a pas envie de te parler.”

-”Vas-y pourquoi tu me casses les couilles…”

Aïe… Mec si à ton âge tu sais pas qu’il faut pas parler comme ça a une maman de cité, je peux plus rien pour toi… La voilà qui se met à crier, mélangeant le français et l’arabe dans la même phrase. Le mec tente de garder la tête haute mais je le vois reculer et tenter de se justifier comme s’ il craignait de se prendre un coup de tatane. Finalement, il retourne s’asseoir la queue entre les jambes. Je remercie la dame pour son aide.

-”De rien ma chérie, y’a des hommes c’est vraiment des chiens !”

La voilà repartie et je poursuis ma route à mon tour, le cœur léger.

Gabriell

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Langue de lutte

Les textes de ce blog ont été créés lors d’ateliers d’écriture, en non mixité queer et féministe. Plus d’informations sur : www.facebook.com/languedelutte