Retrouvailles
Après un moment de décalage (l’une avait vu l’autre, l’autre pas encore), elles se sont reconnues.
L’une a respiré plus fort, ses joues se sont légèrement empourprées.
L’autre a baissé les yeux, elle ne pouvait pas s’arrêter de sourire.
Celle-ci ne savait pas quoi faire de son corps, ses pieds au sol gigotaient et elle se tenait les mains en frottant nerveusement son pouce dans la paume de l’autre main.
On n’entendait pas ce qu’elles se disaient. C’était une pièce relativement petite, trop chauffée, remplie d’une quinzaine de personnes.
Ça grouillait.
J’essuie mes mains moites sur mon jean. J’essaye d’imaginer la scène de l’extérieur, mais je me rends compte que je ne fais qu’y projeter ce que je voudrais que les autres aient vu. Des retrouvailles évidentes, qui trahissent un amour passé, un truc fort, indéniable, légitime. Que dans la gêne et l’émotion de nos retrouvailles, triomphe l’illusion d’une histoire qui n’a jamais eu lieu. Une personne est arrivée pour dire que l’atelier allait bientôt commencer. Elle dit d’un air entendu, regard en coin : Je ne savais pas que vous vous connaissiez toutes les deux. Je ne précise pas comment on se connaît.
Ouf, la revoir ne m’avait pas changée en pierre. Je n’avais plus vraiment peur qu’elle me jette un sort, ou de tomber amoureuse comme je l’avais été adolescente. Ouf, c’était passé. Ce qui subsistait malgré tout, c’était l’inexistence des mots pour parler de nous. J’aurais voulu dire que oui, on se connaissait, comme on s’était aimées fort d’une amitié puissante et transformatrice, qu’elle était celle qui avait le plus compté pendant longtemps, qui m’avait construite, que je ne me serais jamais retrouvée dans cette pièce sans l’avoir rencontrée par exemple. J’aurais tellement voulu dire qu’elle était mon ex. Parce que même si ça n’englobait pas l’intégralité des sentiments que j’avais à son égard, c’était sans doute ce qui, dans la tête des gens, pouvait le mieux faire comprendre l’émotion de ce moment. Sans mot pour décrire cette histoire, il n’y avait pas d’histoire.
Juste des mains qui gigotent. Des joues qui rougissent. Des yeux qui se baissent. Des mains moites.
texte de N.L