Rentrer et revenir
Il y a du bruit, des corps, le tintamarre de la ville : des taxis qui klaxonnent, des vélibs rouillés qui crissent, des trottinettes électriques presque silencieuses, dont le bruit sourd reste perceptible. Les corps s’animent pour former une étrange chorégraphie. Devant les bars, il y a celleux qui fument, qui se parlent, qui crient parfois, créant un joyeux brouhaha constant. La nuit n’est jamais silencieuse dans ma ville. Les passants défilent, certains tiennent à peine debout, titubent sur le trottoir. L’odeur d’urine qui parfume ma rue n’est pas étrangère à ces fêtards imbibés d’alcool. Cette odeur persistante disparaît à peine à cinq heure du matin, à l’heure où les agents de la ville réparent nos imprudences de la veille, comme des pots cassés. Alors même que les derniers fêtards font place nette, laissant avec eux leurs derniers râles raisonner dans ma rue, c’est le bruit des gens pressés qui retentit. Les claquements de leurs chaussures se pressent sur le bitume.
Quel contraste avec ma campagne, celle que j’idéalise en secret, celle dont le silence aide à trouver le sommeil. Là-bas, ce sont les croassements des grenouilles qui nous empêchent de dormir. Lorsque l’on ouvre la fenêtre, au printemps, on entend les oiseaux chanter. Ce n’est pas parfait non, dans ma campagne, il y a aussi les bruits de tondeuse, ou divers outils de bricolage qui raisonnent le week-end. C’est comme si les voisins se relayaient pour briser le silence chacun leur tour. Dans ma campagne, contrairement aux sourires effacés du métro, ce sont des gens aux sourires francs et à la main levée qui vous saluent le matin. Des gens qui aiment bien prendre de vos nouvelles et savoir ce qu’il se passe dans tout le village.
Revenir à Paris:
Je sors de la gare ce soir là, encore de bonne humeur suite à mes vacances ressourçantes. Je retrouve les heurts de la ville. Je rentre en bus, derrière ses fenêtres défile la ville, comme défilait la campagne sous mes yeux dans le train. Je m’émerveille, je scrute ce fourmillement d’individus, qui ont tous l’air de savoir parfaitement où iels vont. Je m’émeus de ce mouvement incandescent.
Ce n’est qu’une fois revenue à Paris que j’identifie ce qui me dérange : l’immensité de la ville. Je viens d’un petit milieu, un endroit confortable, où bien qu’étouffante, la proximité avec les gens me rassure. Paris, j’ai mis un moment à me l’approprier, à connaitre ses arrondissements, ses banlieues proches, où j’ai d’ailleurs toujours habité. Connaître les stéréotypes associés à chaque quartier, leur sociologie. Lorsque je suis arrivée, les gens qui connaissaient les itinéraires de transports en commun par cœur me fascinaient. Je ne peux pas dire que je suis familière de la ville lumière, mais après avoir foulé ses pavés pendant plus de quatre ans, il devient évident que je commence à bien la connaitre, je ne peux plus me déclarer comme totalement étrangère à la capitale.
Pourtant, face à ce mouvement incessant, je décide de prendre le temps. Je ne marche plus d’un pas vif, je traîne la patte. J’observe, je me promène, je contemple. J’écoute ma musique doudou, « le temps de vivre » de Moustaki, je fais sourde oreille aux bruits de la ville. Je rentre chez moi, je cuisine, ça m’apaise toujours de couper des légumes, de sentir l’odeur des épices, les oignons qui crépitent. Je regarde les voisins par la fenêtre. J’ouvre un nouveau bouquin, qui traînait dans ma bibliothèque, abandonné. Surtout, je ne me presse pas. Si je ne le finis pas, ce n’est pas grave, tant pis pour mes chroniques littéraires sur instagram. Je ne prends pas non plus en photo la bouffe que j’ai préparée, elle est bonne, mais absolument pas photogénique. Mes ami.es virtuel.les ne m’en voudront pas. D’ailleurs, je mets mon téléphone en mode avion, les vindictes de twitter ne m’atteindront pas ce soir.
Je me lève ce matin un peu gauche, j’aimerais faire partie de ces gens qui réussissent à se lever plus tôt pour faire du yoga. Je n’y parviens pas, depuis des années, depuis que je vis à Paris en fait, et depuis que je n’ai pas d’obligation avant 10h30, le matin n’est plus qu’un souvenir pour moi. Je me fais un café, fort, je déjeune tranquillement, avec un air de musique dans mes oreilles. Je renverse un peu de mon café par terre, j’ai l’habitude. Je prends le temps de me doucher, de m’observer nue dans le miroir, de l’amour de soi, de bon matin, ça fait du bien. J’enfourche mon vélo, je trace sur le canal accidenté, je croise d’autres cyclistes et entend leurs sonnettes raisonner dans ma tête, alors même que je suis dans mes pensées. On n’est pas encore à Paris, mais dans le 9.3. à Saint Denis, la vie intramuros ne m’est encore pas accessible.
Sur la route, qui va de la gare St Denis à La Villette, on longe le canal, sur ma droite, s’érige le stade de France, imposant, majestueux. Sur ma gauche, s’étend sans s’arrêter, un camp de migrants, qui, chassés de Paris, survivent là dans des tentes. Les tentes mangent la piste cyclable, on y voit des gens se réchauffer auprès d’un feu de camp improvisé. D’autres se débarbouillent au point d’eau, qui, longtemps était le seul pour près de 2000 personnes. Plus loin, des hommes font la lessive et étendent leurs vêtements où ils le peuvent, le long des grilles, dans les buissons… Petit à petit, d’autres points d’eau ont été installés, des toilettes y font même leur apparition, après près de cinq mois d’occupation. Les détritus juchent le sol, sur le pont, un tag décrie « les frontières tuent, no borders ». Je dépasse ce décors pour arriver à Aubervilliers. D’un côté du canal, un immense centre commercial se dresse fièrement. De l’autre côté, un petit espace a été aménagé pour que les vélos puissent circuler, au milieu des travaux du « grand Paris », dessinant une nouvelle ligne de métro. Après une petite montée, j’arrive à Paris, puis, je rejoins la Villette, et continue sur le canal de l’Ourq, en direction de Jaurès. Le long de ce canal, ce sont les bars qui fleurissent. Leurs terrasses empiètent sur les quais, le dix-neuvième arrondissement se déploie le long de ce canal. Puis j’arrive au travail.
Ce Paris, avant, je ne le voyais que dans les films. Je ne pensais pas un jour être ce qu’on nomme chez moi « parisienne » avec dédain, ça ne m’attirait pas. J’ai toujours fait mine de passer à Paris, de ne pas m’arrêter, pas m’installer, fuir le week-end surtout, que mon identité ne dépende pas de cette capitale oppressante. Mes sentiments ont toujours oscillé entre dégoût et admiration pour ses rues. J’ai débarqué naïve dans le seizième arrondissement, pour aller à Paris Dauphine. Je ne connaissait pas le stigmate qui y était associé. Je suis montée à Paris un jour, prenant le TGV, j’étais interrompue dans la tranquillité de ma vie. C’était après deux années très intenses de prépa, au fond, je n’étais pas vraiment adulte. Je travaillais l’été dans un hôtel bon marché de ma ville. J’avais souvent des moments de creux pendant lesquels je pouvais lire, je me suis procurée Sociologie de Paris, des Pinçon-Charlot. Je ne soupçonnait pas qu’il me faudrait bien plus qu’un manuel pour déchiffrer les codes.
Margot Chatard Atelier d’écriture féministe #LanguedeLutte #Ville