Pour ouvrir les volets

Langue de lutte
2 min readSep 13, 2020

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13 heures.

C’est l’heure à laquelle les volets se ferment pour ne pas que les rayons de soleil entrent dans les maisons. Il n’y a plus personne dans les rues du village désert et silencieux. Marie est seule dans ce silence. Pour se rassurer, elle s’accroche au bruit très lointain des tracteurs qui font les foins. Ce soir, il y aura de l’orage et tout doit être rentré avant. Marie ne peut s’empêcher de penser à l’orage qu’elle aussi fera éclater ce soir, non pas sur les champs, mais plutôt dans l’une de ces maisons aux volets clos.

Sous cette chaleur accablante, Marie marche. Elle a besoin de parcourir les rues de ce village du Cher depuis longtemps quitté. Marcher la reconnecte à sa mère, elle se met à sa place, du moins le tente-t-elle. Elle s’accroche aux récits de celle qui lui a donné la vie, il y a trente ans. Marie se demande comment la beauté des lieux peut-elle autant trancher avec la réalité et le vécu des gens. Ce village est si beau.

Elle pense à ce soir, à sa rencontre avec ses grands-parents, aux questions qu’elle posera. Elle et sa mère sont parties depuis si longtemps maintenant et pourtant cela lui semble si proche. À 85 ans, sa grand-mère doit être fragile.

Marie se souvient de sa petite enfance ici. L’étang où elle se dirige à présent était alors pour elle aussi grand que l’océan ! Marie s’assoit sur le ponton. Est-ce vraiment nécessaire ? Doit-elle les questionner après tant d’années ? N’est-ce pas vain ?

Le visage de Pauline restée à Quimper apparaît dans son esprit. Pauline qu’elle aime tant et qui lui a dit de venir là, pour comprendre et peut-être tourner la page afin de panser la blessure de sa mère, devenue sienne à présent. Penser à elle lui redonne de la force. Marie entre dans l’étang, la fraîcheur de l’eau l’apaise autant qu’elle la vivifie.

Il est 18h maintenant.

Les activités ont dû reprendre dans le village. C’est le moment pour elle d’aller à leur rencontre et de leur poser les ultimes questions.

« Pourquoi avez-vous laissé faire ? Comment est-ce possible de ne pas intervenir quand le compagnon de sa fille la bat dans la maison d’à côté ? N’avez-vous vraiment rien vu ou n’avez-vous pas voulu voir ? Pourquoi n’avez-vous pas agi ? Pourquoi n’avez-vous pas cherché à nous retrouver après notre départ lorsque j’avais six ans ? »

Marie a déjà quelques réponses : divorcer, ici où tout le monde se connaît, ne se fait pas. Son père gagnait beaucoup d’argent, sa mère pouvait supporter cela en contre-partie. Mais elle veut les entendre, avant que ses grands-parents disparaissent, pour ne pas laisser le silence régner, pour ouvrir les volets, au moins dans l’une de ces maisons, pour laisser entrer la vérité avec les rayons du soleil.

Camille

Atelier Langue de lutte — 30 juin 2020

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Les textes de ce blog ont été créés lors d’ateliers d’écriture, en non mixité queer et féministe. Plus d’informations sur : www.facebook.com/languedelutte

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