Le désir de culpabiliser
Genre là, tu te dis que c’est trop chelou, en mode comment on peut vouloir un truc négatif ? Quand on culpabilise pas après avoir fauté, le désir de culpabiliser, c’est un peu comme notre grâce. Je veux dire par là qu’il faut voir ça comme une quête effrénée de la bonne conscience pour s’auto-pardonner de ne pas avoir mauvaise conscience. Tu t’en veux de pas t’en vouloir, et ça te met plus mal que la faute en elle-même, dont tu te fous !
Bref, tu préfères culpabiliser de pas culpabiliser plutôt que culpabiliser tout court. Au moins, ça te permet de quand même fauter.
Routine
Il y a des soirs où je dis à ma coloc : « T’inquiète, c’est bon, je vais sortir la bête féroce. ». La bête féroce, c’est notre cocker foufou qui a peur des mouches.
Depuis plusieurs mois, je dis cette phrase presque tous les soirs, alors qu’avant, c’était la corvée. Aller promener le chien vers 1h du matin, dans le vent, non, ça ne me gêne plus.
Je n’obéis qu’au style fatal du short de pyjama qui bâille, du pull trop large, des tongs, de la banane dans laquelle j’étouffe une bouteille d’eau, les clés et une baballe. « Corsou, ven ! » — ça veut dire « viens » en espagnol. « On va pro-mner ? pro-mner ? », et sa tête hoche, et il saute partout, et pour lui mettre le harnais et la laisse, faut le (re)tenir.
Je dévale les escaliers, et profite du moment savoureux du choix de la playlist ou du podcast.
Je sors, il y a cette brise légère qui me rafraîchit, il y a la lune, qui me sourit, parfois des nuages aussi.
Corsou et moi traversons la Avenida de la Condomina, je détache la laisse et feins de lui jeter la baballe sur le chemin descendant vers la plage. Il saisit l’arnaque et remonte aussitôt, et je l’agace encore un peu. Hop, bim, bam, boum, il se rue sur la baballe et glisse parfois par terre.
Puis on va sur la plage même. Seul l’esprit peut supposer où se situe la démarcation entre la mer et le ciel.
La mécanique rituelle se répète — retirer mes tongs et laisser mes pieds s’enfoncer dans les grains, lancer la baballe, écouter l’eau qui s’échoue sur le sable, lancer la baballe, réciter en murmurant des poèmes de Baudelaire, les traduire lamentablement en italien ou en portugais, lancer la baballe. S’asseoir sur la balançoire, se balancer — que faire d’autre, sur une balançoire ! Je bascule du podcast à mes “sons du moment”, et en ce moment, c’est Drowning et TQG. Lo que vivimos se me olvidó, y es lo que te tiene ofendido…
Et penser à tout ce à quoi on peut penser quand on est seul.e, la nuit, et qu’il y a la mer et le ciel.
Dring, dring… ma coloc m’appelle. Elle me demande ce que je fous. En effet, ça fait une heure que la petite balade rapide du soir a commencé.
Texte d’Elodie