la mutinerie décembre 2022

Langue de lutte
3 min readJan 17, 2023

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Réinventer la famille

Ma famille de sang étant réduite à la portion congrue, j’ai été voir ailleurs, chercher des gens qui veuillent de moi, de mes névroses, de mes complexes, et contre toute attente, j’ai trouvé.

Cette famille est internationale : France, Suisse, Belgique, Canada et même Etats-Unis.

Cette famille est un noyau loin des orphelinades, parents et adelphes toxiques, conjoints relous et enfants chiants.

Cette famille, c’est des discussions à bâtons rompus, à toute heure et tout le temps, passant sans transition du plus grave au plus débile, et inversement.

Dans cette famille, le poulet, le fromage, les patates et le chocolat sont des piliers de l’alimentation humaine.

Dans cette famille, on tape virtuellement les hommes politiques à coups de pelle. Voire d’autres gens aussi.

Dans cette famille, tous les sujets de conversation mènent à la bouffe, à Harry Potter ou au Seigneur des Anneaux.

Dans cette famille, on a des références musicales. Bob Morane contre tout chacal, et faut pas gonfler Gérard Lambert quand il répare sa mobylette.

Dans cette famille, on se fait beaucoup de câlins, et il y a toujours quelqu’un à qui parler quand ça ne va pas.

Dans cette famille, on aime les chats. On se montre des photos de chats. Partout, tout le temps. Les poissons, par contre, c’est plus compliqué.

Cette famille, je n’aurais jamais pensé m’y inclure en tant que pièce rapportée sur le tard, mais sans elle, je ne serais sans doute pas allée bien loin.

Lettre de rupture

Cher clan,

J’aurais pu commencer par “Chère famille de Maman”, mais vous êtes un clan. Malgré vos conjoints, vos enfants, vos petits-enfants, vous n’êtes qu’un seul humain, qu’une seule chair, qu’une seule pensée. Et moi, je ne suis pas comme vous ni comme vos enfants, à me conformer à des clichés de magazines. Je n’ai pas de conjoint, pas de travail, pas de gamins, je suis la seule à être comme ça. Je n’ai pas reproduit le modèle de vos filles, un bon emploi, un mari riche, une taille 36 et une descendance, au minimum le choix du roi.

J’imagine que ça ne vous étonne pas. Je me souviens de ce que vous disiez quand j’étais petite, cette grosse Luna, cette godiche, qui rêvasse et qui lit tout le temps, toujours le cul posé. Elle ne fait pas de sport et ne s’intéresse ni à la mode ni à tout ce qu’aiment les filles de son âges, je vous avais bien dit que Mireille n’aurait pas dû se marier. Vous savez, quand j’y repense, vingt-cinq ou trente ans plus tard, je vous mets dans le même sac que ceux qui me harcelaient au collège. Je n’aurais pas dû naître selon vous ? Eh bien je suis là, faites avec. Admettez plutôt que ça vous met les boules que Maman ait tué le game, et que sa vie ait été bien plus remplie que ce à quoi vous vous attendiez de la part d’une femme handicapée. Et quant à moi, je n’ai besoin ni de vos conneries ni de vos clichés. Le couple, le cul, ça ne m’intéresse pas. Les enfants, je n’en ai jamais voulu. Je suis plus épanouie dans une librairie que chez H&M ou Zara. J’ai des amis qui me donnent ce que vous avez été infoutus de m’offrir durant ce cauchemar qu’a été mon adolescence, de la gentillesse, des conseils, des avis sans jugement. Si vous vous demandez pourquoi je ne me manifeste plus depuis dix-sept ans, depuis cette affreuse journée d’avril 2005 où vous m’aviez parlé mari, bébés et tailleur Prada pendant que ma mère reposait dans son cercueil, c’est parce que j’ai autre chose à faire que de me faire piétiner, juger et dénigrer par vous sous prétexte que vous pensez détenir la vérité ultime.

Vous ne me croire sans doute pas, engoncés dans vos certitudes comme vous l’êtes, mais je suis plus forte que vous. Ma vie intérieure est infiniment plus riche que la votre. Et même si je mentirais en affirmant que c’est facile tous les jours, je sais ce que je suis. Une intellectuelle baba-cool, asexuelle et en surpoids qui, contrairement à vous, dégueule tout ce qu’elle sait sur les injonctions sociétales et la dictature de l’apparence. Vous vous dites féministes mais à bien regarder ce que vous avez fait de vos vies, ce que vos filles ont fait des leurs… permettez-moi d’avoir des doutes.

Textes de Luna

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Les textes de ce blog ont été créés lors d’ateliers d’écriture, en non mixité queer et féministe. Plus d’informations sur : www.facebook.com/languedelutte

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