Je suis cette invisible au milieu de vous
Derrière la vitre, je regarde, j’observe, je veux mémoriser, j’essaye. Je veux voir. Voir… Me rappeler. Ne pas oublier. Ne pas sombrer.
Leur chaleur, serrer contre moi, invisible parmi eux, tout autour, là, les uns contre les autres.
Chaque détails, garder là. Voir et entendre, ce chant lointain derrière leur rire, leur discussion.
Cette musique…
Je le sens qui me caresse la joue et me fait plisser les yeux. Je les ferme pour mieux sentir sa douceur sur ma peau, ce frisson d’un effleurement, ce rayon de soleil qui m’enveloppe et m’entraîne. Je les entends rire. Elles sont là. Heureuses et rigolant entre elles. Je me lève doucement, dans cette lumière de fin de journée qui les habille d’or et fait scintiller leur moindre mouvement; Elles bougent, elles rient, elles discutent. Ils sont Ensemble. Tous semblent baigner dans cette sérénité sortie d’une publicité pour retraite heureuse du 3e âge et pourtant ; tous les âges sont là. J’avance parmi eux au milieu de ces éclats de rire aux tonalités variées composant une mélodie qui m’éclabousse de cette joie contagieuse. Chacun semblent avoir sa place, chacun son amour, chacun son sourire, chacun son style. Ils ont l’air heureux, occupés. Ils se sourient. Ils se parlent. Mais surtout, tous, ils se voient.
« Madame ! »
J’ouvre les yeux. Le soleil s’est caché, à mon tour d’y aller. Ne pas être vue, rester invisible, ne pas me faire remarquer et errer dans la nuit telle une fille rentrant de soirée. Mais surtout ne pas indiquer, que je n’ai nul par où aller.
Je suis de ces invisibles, de ces femmes qu’on ne voit pas. Je suis de ces statistiques inconnues. De ces femmes sans abris qui ne se font pas remarquer, de peur d’être agressée, d’être volée, d’être violée, alors je m’efforce chaque jour d’être présentable et d’aller, oui je vais là où mes pas me guident, mais jamais je ne me pose, ne me repose. Non, je ne peux pas. Je dois être comme les autres, rester, faire l’effort et paraître. L’ironie quand avant je voulais être celle que l’on remarque, maintenant je fais tout pour qu’on m’oublie. Je suis cette fille qui imagine sa vie, je suis cette femme qui rêve en plein jour et erre la nuit : je suis cette invisible au milieu de vous.
Texte de Sandrine Cardon
Atelier d’écriture féministe Langue de Lutte