Faim

Langue de lutte
1 min readMar 4, 2023

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Elle avait eu tellement faim mais surtout elle avait oublié qu’elle avait eu faim.
Elle avait oublié que la seule chose qui lui tordait les boyaux c’était cette faim — une faim immense, éclose dans le silence apeuré.
Ce silence, ce silence qui lui avait gobé tous les mots, tous les sourires, toutes les mains qui se touchent.
Et le silence lui avait donné tellement faim.

Elle pourrait manger les autres, elle a déjà essayé de manger ses propres mains — mais rien de tout ça n’apaise la faim.
Ils ont menti.
Ce n’est pas ça qui apaise la faim.
Ce n’est pas manger les autres.
Ce n’est pas asséner son silence sur elles et eux autour.
Ce n’est pas ça qui apaise la faim.

Sa faim a seulement commencé à tamiser ses cris quand elle a vu les autres, toutes ces autres avec leurs faims, leurs silences, voix coupées gorges nouées tranchées, toutes là — si nombreuses j’en ai le tournis — et je vois, je vois que la faim s’apaise et se nourrit des mots, des mots étoilés dans les silences, des mots liés entre eux, des mots qui se rencontrent, forment un bélier ensemble et défoncent la porte de silence — et elles sortent, elles jaillissent, elles emportent avec elles la poussière de solitude et les mots volés, elles brandissent des étincelles de bruit à travers le silence, elles n’ont plus faim parce qu’elles se nourrissent les unes les autres, parce qu’elles sont ogresses, ensemble et fières.

Texte d’EmilyS

Atelier Langue de Lutte

#Monstruosités

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Langue de lutte

Les textes de ce blog ont été créés lors d’ateliers d’écriture, en non mixité queer et féministe. Plus d’informations sur : www.facebook.com/languedelutte